Qu’est ce qui a bien pu nous pousser à réaliser cet article ? Comment oser s’attaquer au sacro-saint « Tim Burton priez pour nous » ? Et bien mon ami, je te répondrai que c’est avant toute chose la douleur ; la douleur de voir, au fur et à mesure des années, ce réalisateur malmené par les opinions. Pas tant les critiques, les gars sont payés pour ça, plutôt le public. Mais pas n’importe quel public ! Par ses propres fans. Ceux qui se revendiquent « adulateur » du réalisateur se transforment bien souvent en parfaits agents d’exécution public. À juste titre ? Rarement.
On attend de Tim Burton des films « burtoniens ». S’il n’y a pas assez de portes tordues, on est déçu. Ce ne serait pas du Tim Burton. Un comble pour un artiste vivant : devoir se justifier sur chacun de ses nouveaux films. Force est alors de constater que sa filmographie tourne en rond.
Mais a t-on réellement compris qui était Tim Burton ? Qu’est-ce qui le définit au-delà de la simple lecture visuelle ?
Pour répondre à cette question LPTTS a sorti les gros moyens. Nous avons eu la chance de rencontrer l’un des spécialistes du sujet en France et non moins ami de longue date, Laston, Webmaster du fanclub Tim-Burton.net. En mai dernier, il donnait une conférence pour Geekopolis et c’est avec une grande justesse qu’il nous livre cette interview réellement passionnante, qui fait enfin le point sur le réalisateur qu’il a tant aimé.
LPTTS : « Aimer Tim Burton, c’est presque commun. Comment pourrais-tu expliquer cet engouement autour du réalisateur dès le début de sa carrière ? »
LASTON : « En fait, il n’y a pas vraiment eu d’engouement pour Tim Burton au début de sa carrière, ou en tout cas pas pour lui en tant qu’auteur. Avec Batman (1989), il a certes connu un très grand succès, mais ne nous y trompons pas, c’est la licence et non le réalisateur qui faisait parler. C’était déjà la même chose avec Beetlejuice (1988) où Burton en tant que tel n’est pas mis en avant du tout. Edward aux Mains d’Argent (1991) connaît à peine un succès d’estime et un film comme l’Etrange Noël de M. Jack (1993) est sorti par Disney aux États-Unis pour Halloween ! Sans parler d’Ed Wood (1994) qui a eu un très beau succès critique mais a été un véritable échec public.
Ce n’est qu’à partir de Mars Attacks (1996), pour l’Europe, et de Sleepy Hollow (1999), pour l’Amérique, que Burton commence vraiment à émerger en tant que réalisateur à part entière pour le grand public et pour la presse non spécialisée. Il suffit de regarder les affiches des films et de voir à partir de quand son nom est inscrit en grand pour s’en convaincre : Burton devient ainsi bankable.
La grande mode Burton ce sont donc les années 2000, ce qui est assez paradoxal quant à la qualité de son cinéma. Pendant dix ans, il va pouvoir profiter d’une estime majeure – estime qui trouve son apogée en 2010 avec sa présidence au festival de Cannes, l’exposition sur ses dessins au MoMA de New-York et l’hallucinant succès public d’Alice au Pays des Merveilles (plus d’un milliard de dollars de recettes).
Aimer Burton est alors, en effet, très commun, que ce soit dans la presse ou pour le public. La critique a compris ce que quelques rares personnes proclamaient depuis le début des années 1990 : que nous étions face à un véritable auteur doté d’une identité forte et d’une vision personnelle du cinéma.
À partir de là, l’effet inverse se produit : chaque sortie de film est saluée et le film en est presque a priori considéré comme excellent. Il suffit de voir les superbes critiques presses qu’ont reçu Charlie et la Chocolaterie (2005) et les Noces Funèbres (2005). Pour deux films à peine honnêtes (ce que tout le monde reconnaît aujourd’hui), c’est assez étonnant. Seulement, ça y est, il est de bon ton d’aimer Tim Burton, comme s’il fallait rattraper les années 90 injustement ignorées !
Le succès public suit ce succès critique. Mais ce qui est intéressant ce n’est pas tant les entrées que ses films engrangent mais le fait que Burton soit traité comme une rock-star.
En 2005, porter des T-shirts de geek avec ses héros de séries favoris dessus, ça n’était pas encore la mode. Par contre, on croisait facilement des T-shirt l’Étrange Noël, des badges, etc. Et surtout, le nombre de personnes se disant fans de Burton était assez impressionnant !
Burton plaît à beaucoup de monde, ce qui en soit est étonnant pour un type qui a toujours été le looser à côté de la plaque, et ce jusque tard dans sa vie ! Mais c’est justement parce qu’il est en marge qu’il plaît. Qui sont ceux qui affichent de manière claire leur goût pour Burton ? Ceux qui se sentent eux-même en marge, souvent les adolescents. Sauf que, rassembler tous les « marginaux » des lycées derrière un porte étendard, ça fait du monde ! J’y vois un peu comme un prémisse à la mode geek actuelle. »
LPTTS : « Ses films tournent beaucoup autour du thème de la mort, il se fait également porte drapeau des gothiques ? »
LASTON : « Justement, Burton vient aussi de cette contre-culture gothique. Il était un grand fan des Cure, un lecteur d’Edgar Allan Poe, et c’est en club punk et gothique qu’il a rencontré Danny Elfman, alors chanteur du groupe Oingo Boingo qui pour le coup n’est pas franchement gothique ! (ndlr : musicien-compositeur de beaucoup de ses films).
Il y a vraiment une logique à tout cet ensemble : c’est le même type qui adore les films gothiques de la société de production Hammer et qui, quand il était gamin, traînait dans un cimetière parce que l’endroit était calme !Alors, en effet, la mort est extrêmement présente dans ses films qui peuvent arborer une esthétique assez sombre.
Pour autant, est-ce que Burton est un cinéaste sombre, torturé, où la mort serait une fin tragique et funèbre ? Assurément pas ! La mort chez Burton est au contraire créatrice de mouvement et de vie. Regardez qui sont ses personnages considérés comme sombres, lorsqu’ils ne sont pas carrément morts : Beetlejuice, Edward, Jack Skellington, Émilie… On est plus face à un joyeux freak-show délirant qu’une galerie funèbre !
Finalement, si Burton utilise effectivement une esthétique de la mort et certains codes du gothique, ce n’est que pour en faire un univers vivant et coloré. « Halloween Town » et le monde des morts des Noces Funèbres sont des lieux où la joie et la bonne humeur dominent. Les squelettes abondent dans son œuvre, mais ont toujours un côté joyeux ! Regardez les martiens de Mars Attacks en train de transformer toute l’humanité en tas d’os rouges et verts : qu’est ce qu’on se marre, qu’est ce que c’est vivant ! Regardez Selina Kyle mourir : ce n’est que pour s’accomplir et devenir Catwoman !
C’est justement de ce jeu de la mort et de la destruction que la pulsion créative ressort chez Burton. Seule exception à la règle : Sweeney Todd. Là, en effet, l’approche de la mort est nihiliste et complètement désenchantée. Mais c’est bien le seul cas.
Au fond, les gens ont souvent une idée préconçue de ce qu’est Burton et accumulent les clichés. Ce n’est pas que Burton n’est pas empli de poncifs, bien loin s’en faut, mais ils ne sont pas toujours là où on les cherche. Et ça m’amuse de démonter un peu tout ça. Autre exemple du même genre, celui de la sexualité. »
LPTTS : « Mis à part une scène de fesse dans Dark Shadows, la sexualité est un thème peu abordé dans ses films, c’est un pudique ? »
LASTON : « C’est exactement ce que disent les gens, quand ils ne vont pas jusqu’à dire qu’il est coincé ! En même temps, on peut le comprendre : nombre de ses personnages marquants sont asexués et emplis d’une forme de pureté : Edward aux Mains d’Argent, Sally dans l’Etrange Noël, Ichabod et Katrina dans Sleepy Hollow, Willy Wonka… Quand on se limite à ces personnages, en effet, le monde burtonien semble assez peu charnel et quelque peu éthéré !
Mais que l’on s’y penche de plus près, et le sexe devient très présent et est l’une des thématiques majeures de son cinéma :
Qu’il soit pris comme outil drôlatique comme avec le personnage de Beetlejuice ou les Martiens qui s’amusent à regarder les gens coucher ensemble dans une caravane aux néons fort peu équivoques.
Qu’il soit un outil de libération féminine avec le personnage de Catwoman, toute entière tournée vers la sexualité pour signifier une maîtrise totale de son corps face à une société machiste dominée par les hommes à tout point de vue.
Qu’il soit un outil de domination et de pouvoir chez Lady Van Tassel dans Sleepy Hollow, chez Jerry Ross, le conseiller du président dans Mars Attacks ou, plus encore, chez le Juge Turpin dans Sweeney Todd. Ce dernier collectionnant les livres de voyage érotiques, emplissant sa maison de nus langoureux, séquestrant sa pupille en vue de se marier avec elle et violant la femme de Benjamin Barker en vue de la posséder totalement.
Ou, enfin, qu’il soit abordé de manière mature et intime, comme dans Ed Wood où ce personnage si étrange, à la sexualité soit-disant déréglée selon les canons, est traité avec douceur et humanité pour être finalement accepté tel qu’il est dans ce qui est peut-être la plus belle scène du cinéma burtonien : celle du train fantôme où il avoue à Kathy qu’il aime s’habiller en femme, mais que, pour autant, il n’en aime pas moins le sexe avec les femmes. Et Kathy de répondre, avec une tendresse absolue, un simple « ok », symbole de la tolérance et de l’amour infini que peut avoir Burton pour les freaks, quelle que puisse être la définition que l’on donne à ce terme.
On le voit, la sexualité est bien présente dans ses films, et de manière protéiforme et complexe. C’est peut-être justement cela qui rend sa lecture un peu plus intéressante qu’il n’y paraît au premier abord. »
LPTTS : « D’autres thèmes récurrents au cinéma de Tim Burton qu’on aurait manqué ? »
LASTON : « Tim Burton est un cinéaste qui a ses obsessions qu’il utilise de manière récurrente et que le public a clairement identifié comme des balises jalonnant son cinéma. Il n’est pas vraiment possible de développer ici chacune de ses obsession, il faudrait pour cela plusieurs articles, mais j’aime bien citer quelques unes qui me semblent particulièrement importantes et qui ne sont pas toujours relevées.
On a déjà parlé du thème de la mort. C’est assez facile à identifier pour le public, de même que sa critique acide des banlieues américaines ou de la production artistique.
J’aime souvent mettre l’accent sur la véritable obsession qu’a Burton pour les machines, et plus particulièrement sur le fonctionnement de fabrication industrielle, à la chaîne. Ces thèmes des machines et de l’industrie se retrouvent dans presque tous ses films, que ce soit par des thèmes graphiques mécaniques ou par des thèmes scénaristiques. La répétition mécanique du geste est aussi quelque chose que l’on retrouve souvent.
Burton se questionne ainsi sur l’humanité de ses personnages. On peut penser à Edward aux Mains d’Argent, bien sûr, mais aussi à bien d’autres personnages. Prenons le cas de Sweeney Todd : on a un personnage qui devient une véritable machine à tuer, et qui le fait de manière mécanique, sans y penser, le tout étant accentué par le mécanisme de la chaise et de la trappe.
Pour extrapoler, ce questionnement de l’humanité des personnages est également au centre du cinéma burtonien. Prenons Batman le Défi : l’humanité des personnages est mise en porte-à-faux avec leur animalité. On retrouve exactement le même questionnement dans la Planète des Singes qui, malgré ses défauts, reste un projet extrêmement burtonien thématiquement. »
LPTTS : « Peux-tu dire que Tim Burton est devenu un réalisateur de film « burtonien » ? Qu’en est-il de Big Eyes sorti cette année, tu l’as aimé ? »
LASTON : « C’est bien là mon sens tout le drame actuel du cinéma burtonien : il se regarde le nombril. En ayant une personnalité forte, affirmée et recherchée, Burton a créé un style immédiatement reconnaissable. C’est bien, c’est ce qui fait la marque du cinéma d’auteur. En revanche, quand le cinéma d’auteur devient simple marque, c’est plus problématique.
Le cas d’Alice au Pays des Merveilles en est l’exemple le plus emblématique, mais il est loin d’être le seul. Burton a recourt à l’auto-citation vide de sens. Alors oui, dans Alice, on retrouve les ingrédients burtoniens : arbre tordu, moulin, rayures, spirales, yeux charbonneux…
Mais n’importe quelle personne qui ferait une fan-fiction serait capable d’imiter Burton en prenant ces éléments. La publicité ne s’en est d’ailleurs pas privée ces dix dernières années ! Est-ce que ça a pour autant du sens ? Dans Alice, on a l’impression que Burton a cherché à faire du Burton, rien de plus. Les détails sont devenus gimmicks, le style original est devenu maniériste, au sens de faire « à la manière de ».
C’est d’autant plus dommage que c’était là toute la qualité de Burton, digérer des éléments pré-conçus pour les ressortir de manière personnelle. Son cinéma actuel semble tourner un peu en rond, au mieux, se complaire dans l’auto-citation, au pire.
C’est justement sur ce point que Big Eyes est intéressant. Non qu’il s’agisse d’un très bon film. Globalement, je me suis plutôt ennuyé devant et je n’ai pas réussi à m’attacher émotionnellement aux personnages.
Toutefois, il reste assez intéressant en ceci que Burton semble y faire un regard sur sa carrière : au même titre que Margaret Keane se retrouve enfermée à reproduire sans cesse le même style, sombrant inévitablement dans le kitsch, Burton répète inlassablement les mêmes motifs devenus gimmicks. Le kitsch, c’est l’imitation à outrance.
De plus, dans Big Eyes, l’intrigue est basée sur l’opposition entre Walter, qui cherche à vendre, et Margaret, qui cherche à peindre sans arrière pensée, simplement pour s’exprimer. Cette opposition n’est-elle pas révélatrice d’une dualité de Burton lui-même, tiraillé entre succès public, vouloir plaire, et expression personnelle.
Keane est devenu une marque reproductible à l’infini, que les Américains exposent dans leur salon so 60’s. Burton est aussi une marque, copiée et exposée dans les chambres d’adolescents. Il faut aller à Disneyland et voir l’horreur kitsch des goodies Mr Jack pour mesurer l’étendue du phénomène ! »
LPTTS : « Et toi Laston, en tant que spécialiste et surtout grand fan de Tim Burton, comment te situes-tu aujourd’hui par rapport à cet artiste, tu pourrais parler de déchéance ? »
LASTON : « Il est clair que la grande période de Burton où chaque nouveau film était une sacré tarte innovante et jouissive est bien terminée.
Cette période s’étend, pour moi de Edward aux Mains d’Argent à Sleepy Hollow, soit une décennie, les années 1990, de création foisonnante et folle. On peut discuter sur les bornes de cette période, mais tout le monde, ou presque, s’entend pour dire qu’en 2000, Burton a produit tous ses chefs-d’oeuvres.
Ça ne veut pas dire que la suite est inintéressante, mais on se situe très clairement à un autre niveau. Un film comme Sweeney Todd, malgré tous ses défauts esthétiques, est sacrément stimulant et renouvelle le cinéma burtonien. Frankenweenie est un très beau film, d’une pureté assez extraordinaire, mais il s’agit plus d’un résumé de la carrière de Burton que d’une innovation. D’ailleurs, quand on regarde ces deux films, il s’agit à chaque coup de projets des années 80-90 qu’il n’avait alors pas pu réaliser…
Mais, finalement, le cinéma de Burton portait en lui ce risque de redite. En se créant une identité de manière si forte, si reconnaissable et si personnelle, il s’acheminait vers une limitation de son expression. Ce n’est pas une erreur, car cette personnalité est ce qui fait la force de son cinéma. Simplement, peut-être que Burton a tout dit ? Ou en tout cas, tout ce qu’il avait de vraiment original.
Ceci est d’autant plus problématique que Burton n’est pas un cinéaste intellectualisant : il y a une véritable difficulté à la réflexion sur sa propre œuvre. Celle-ci existe, en témoigne Big Eyes, mais ce n’est pas franchement très excitant !
Clairement, aujourd’hui, je suis toujours très curieux de découvrir un nouveau Burton, mais je n’en attends plus grand-chose. Après, peut-être parviendra-t-il à surprendre ! Mais ce ne sont pas ses projets futurs – Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children, Beetlejuice 2 et Dumbo – qui me font aller dans cette direction… Un Del Toro, dans un style très proche, me titille beaucoup plus par exemple ! »
LPTTS : « Justement, qu’est-ce qui pourrait le définir, le distinguer des autres réalisateurs tels que Wes Anderson, Del Toro ou Terry Gilliam ? Il s’approprie ce qui relève de l’improbable, du rêve ? »
LASTON : « Tout d’abord, nous avons là quatre cinéastes à la personnalité profondément marquée. Récemment, on a souvent comparé Burton à Wes Anderson, pas tant pour les rapprocher thématiquement ou même esthétiquement, mais plutôt pour pointer des réalisateurs qui parviennent à faire de vrais films d’auteurs au sein du système hollywoodien. La comparaison avec Anderson peut aussi se faire quant à leur rapport avec le décor réel et l’artificialité de l’action. Il y a, chez Burton comme chez Anderson, un côté très mécanique, artificiel, qui recouvre une peinture humaine des sentiments. D’où leur goût commun pour la stop-motion et le rejet de tout naturalisme.
Mais au-delà de ces points, je ne pense pas que Burton et Wes Anderson puissent réellement être rapprochés : leur cinéma est foncièrement différent en terme de dynamique, d’influences et d’objectif narratif. Là où Wes Anderson est un cinéaste de la narration par la mise en scène, Burton est plus dans le sentiment et est beaucoup moins cérébral.
Le rapprochement avec Terry Gilliam ou Del Toro est plus d’ordre narratif et esthétique. Il y a effectivement un goût pour le conte et le fantastique, pour ne pas dire le fantasmagorique chez les trois réalisateurs.
Le lien avec Del Toro, notamment, est particulièrement clair : nous avons là deux cinéastes qui agissent en plein cœur des studios hollywoodiens, alternant blockbusters d’auteur et films à budget plus limité, ils partagent exactement les mêmes influences en terme de cinéma et ont tous deux une méthode assez semblable en ceci qu’ils partent du dessin pour obtenir une production graphiquement immédiatement identifiable.
Ajoutez à cela leur goût commun pour les monstres et un bon penchant pour l’humour potache et vous avez des liens très forts qui unissent les trois hommes.
Burton est avant tout un créateur graphique, un dessinateur. Le dessin est à l’origine de tout son processus créatif. À l’origine, Burton a bossé chez Disney en tant qu’animateur. C’est vraiment quelqu’un qui pense de manière graphique, avec ses tics et ses trucs qui le rendent immédiatement reconnaissable et qui sont, le plus souvent, issus de cette pop-culture du cinéma de genre.
Les meilleurs films de Burton sont avant tout des films personnels qui extériorisent ses sentiments. C’est ce qui fait leur qualité, ils ont l’énergie du sentiment intime exprimé avec force sur pellicule.
C’est pour cela que les choix graphiques de Burton ont une importance majeure. Il est très fortement influencé par l’expressionnisme allemand. Qu’est ce que l’expressionnisme ? C’est l’extension des sentiments intérieurs sur l’ensemble du monde extérieur. C’est ce qui donne ces portes tordues, ces arbres courbés, ces grands châteaux isolés : le décor n’est rien d’autre que le reflet des personnages. Burton doit être vu avant tout comme un cinéaste des sentiments et de l’extériorisation de l’intime, que ce soit le mal-être, la rage ou au contraire la plénitude. C’est à mon sens ce qui a fait son succès public, notamment auprès de ce public adolescent en mal-être : la lecture de ses films est intime et ne nécessite pas une grande intellectualisation. Ils sont ressentis, avant tout.
En revanche, dans la thématique que tu abordes – le rêve, l’improbable – j’ai l’impression que Burton peut être assez nettement séparé d’un Terry Gilliam, même si les deux univers peuvent sembler se rapprocher.
Gilliam est clairement un cinéaste de la folie, du bizarre et de l’inexplicable. Ce n’est pas du tout le cas de Burton qui, au contraire, est assez porté sur la rationalité, aussi étrange soit celle-ci.
Finalement, il faut toujours une explication à tout chez Burton qui ne semble pas supporter le fait d’imposer au spectateur une suspension d’incrédulité. Ce n’est pas lui qui dirait au spectateur : « Ta gueule, c’est comme ça dans mon univers, accepte-le ou sors ! »
Il s’agit souvent d’une rationalité folle, fantastique, mais au moins celle-ci est-elle en cohérence avec l’univers du film. L’existence d’Edward aux Mains d’Argent est expliquée dans le film : il s’agit d’un robot qu’on a voulu rendre humain. Pourquoi le Pingouin est-il comme il est ? Parce qu’il a été abandonné à la naissance dans les égouts. Pourquoi Willy Wonka est-il devenu chocolatier ? Parce qu’il a été brimé étant enfant. Bref, tout à une cause, tout à une origine.
Lorsque Burton se questionne sur cette rationalité, c’est passionnant : c’est ce qui sous-tend tout Sleepy Hollow : le conflit entre deux époques, celle des croyances populaires et des cavaliers sans-têtes d’une part et celle de la rationalité scientifique, de l’investigation sérieuse et du règne de la causalité d’autre part. Ce n’est pas pour rien que le film se situe au crépuscule du XVIIIe siècle : le passage d’un âge à l’autre est ainsi au cœur du film. Cette dualité entre superstition quasi-religieuse et rationalité se révèle finalement être au cœur même du projet américain, le cavalier sans-tête trouvant son origine dans la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Sleepy Hollow, finalement, c’est un récit sur les bases d’une nation américaine tiraillée entre ces deux extrêmes, un peu comme l’est Burton lui-même, à cheval entre imaginaire fou et volonté de rationalité.
Cependant, cette rationalisation atteint parfois des outrances. C’est le cas dans Alice au Pays des Merveilles. En donnant un nom, une histoire et une raison d’agir à tous les personnages du Pays des Merveilles, Burton vide l’œuvre de Carroll de toute sa substance folle et en fait une espèce de fresque épique qui se révèle finalement assez vaine.
On a longtemps décrit Burton comme étant le réalisateur de rêve pour adapter Alice au Pays des Merveilles. C’est totalement faux, et l’échec artistique du film le montre clairement. Un Terry Gilliam aurait, à mon sens, beaucoup plus fait l’affaire. Car, qu’est ce qui fait véritablement Alice ? Une simple imagerie ou un ton et une écriture de l’absurde ?
Un autre écueil récent dû à cette volonté explicative me semble être le recours à des voix off narratives. Le procédé est totalement inutile et plombe de manière forte des films comme Dark Shadows ou Big Eyes. Il apparaît comme un aveu d’impuissance à conter visuellement, ce qui pour un cinéaste, surtout un cinéaste visuel comme Burton, est extrêmement grave ! »
LPTTS : « Pour finir Laston, dis-nous quels sont tes films favoris de Tim Burton et ceux que tu aimes le moins, pourquoi ? »
LASTON : « Pour ceux que j’aime le moins, je pense avoir suffisamment bavé sur Alice pour que ce soit clair – mais je peux en rajouter une couche, je ne suis jamais en manque de critiques envers ce film !
Je suis très loin d’être fan de Dark Shadows, tellement mal écrit, notamment au niveau de la construction des personnages, que c’en devient laborieux de le regarder. J’ai du mal à me positionner sur La Planète des Singes. Le film n’est pas agréable à voir, souffre de longueurs énormes et de personnages très inutiles, mais il est tellement plein de bonnes idées et est si riche thématiquement que je ne peux me résoudre à le placer parmi les échecs cuisants !
Quant à mes films favoris, j’ai un peu ma sainte trinité des films parfaits que je peux voir, revoir et re-revoir et auxquels je trouve toujours plus de qualités, de grâce et d’inventivité : Edward aux Mains d’Argent, Batman le Défi et Ed Wood. On pourrait y ajouter l’Étrange Noël de M. Jack, mais, et c’est purement personnel, j’ai un peu moins de plaisir à le regarder que les trois précédents, même si je le reconnais comme étant parfait en tous points ! Je ne vais pas clamer ici tout mon amour pour ces trois films, l’interview a déjà été assez longue et les lecteurs ont peut-être envie d’aller se coucher ! Félicitation d’ailleurs à ceux qui ont lu jusqu’au bout cette logorrhée !
Merci à LPTTS pour cette porte ouverte et n’hésitez pas à venir discuter de tout ça sur le forum de
tim-burton.net ! »
-De Papincourt-
Un petit rappel de la critique LPTTS de l’Après-séance Big Eyes.
Merci pour cette interview riche, intéressante et plutôt professionnelle ! Bravo
cool ! j’ai appris plein de trucs !!!! Je suis plutôt d’accord avec l’analyse de Laston, ceci dit je trouve, pour ma part, qu’Alice est au contraire un bel hommage à l’oeuvre de Carroll contrairement au dessin animé de Disney moi je l’ai toujours vu un peu comme Burton.
Chacun ses goûts après tout….
Ouais, ouais ouais ouais………….
Jamais été un grand fan de ce type. Surfer sur ce genre de hype, très peu pour moi : « quoi, tu te prétends cinéphile et tu te paluches pas sur Tim (sic)??? ».
– « non et trace ta route ».
Mais l’itw est intéressante, je dis pas. En effet, à ma plus grande surprise, des gens vouent leur vie au culte de M. Burton. Bon, grand bien leur fasse, hein, d’autres sont bien capables de bosser H24 avec des gamins, euh, par exemple…
M’enfin, oui, j’ai aimé les films de ce réal :
– Beeteljuice : culte. Là, je dis ouais. Là, je prends mon pied. Question de génération sans doute, mais pas que. C’est juste que ce film est parfait.
– batman : très, mais alors très mal vieilli. Il n’y a pas si longtps, je voulais dragouiller une minouche en lui vendant à coup de trique (tsss) les premiers Batman. Bon, bah raté, hein. Nan, il a mal vieilli. Il est mal ficelé, le scénar est bancal, les effets spéciaux sont niaiseux (prends ça bernard pivot). Allez, j’ose : ce Batman est ringard. pan.
– edward : fous moi la paix oh! laisse moi ma mauvaise foi stp!
– Mars Attack : je crie au chef d’oeuvre. comment est ce possible? Dieux existe, appelez le Tim Burton. (merde, je tombe dans la contemplation béate prépubère là).
– sleepy hallow : originalité féroce. Tim marque encore un point.
– Big Fish : j’ai chouiné devant ce film, j’avoue. L’incarnation de la poésie. juste merci Tim…
Et puis plus rien. Et puis de la merde. Et puis la naissance de la hype. Et puis l »holiwoodisation du cinéma de Tim Burton.
Que s’est il passé, Tim? Tu t’es marié, t’as « fondé une famille »??? T’as été faire du ski sur une piste bleue en te pétant le coxys?
Nan mais parce que après, plus aucun de ses films ne trouvent grâce à mes yeux : Charlie et la chocolaterie : les terroristes se sont trompés de Charlie, ils ont buté le mauvais moi je te le dis! merde! mais pourquoi??? C’est quoi l’affaire là!!!
sweeney todd : il a voulu assassiner jack sparow là non?
Alice : Tim fait du Burton : une caricature de son cinéma. un film pour les fans incapables d’avoir un esprit critique. on me la fait pas éhéhéh…
Big eyes : et ben là, ouais. pas mal. Porté par l’acteur principal, mais oui, très sympa! et pour cause, Tim burton ne fait plus du tim burton! ouf! soulagement.
Donc bon, voilà. de très bons films, mais aussi du très mauvais. PArce que corrompu par la société du spectacle, parce que Hollywood, parce que hype. et maintenant, on fait meme des expos sur son univers…
bref, merci pour cet article cher Mr. De Papincourt. Toujours intéressant de confronter ses opinions!
J’en sauve un petit peu plus que toi cher PINO, notamment Sweeney Todd qui semble être une vraie prise de risque (cette comédie musicale ne contient aucun tube).
Je te suis complètement en revanche sur le premier Batman et ses arrivées chorégraphiées genre Stella et ses rois mages.
Tu ne parles pas de L’étrange Noel de M. Jack, je suppute (sans insulte hein) qu’il te plaise. Il est superbe et appartient à mon Top Burton avec Big Fish si poétique et Sleepy Hollow… Et Mars Attack… Et Edward aux mains d’argent…
Prise de risque je ne sais pas… Ca fait très ricain je trouve, le concept de Sweeney Todd… Ca n’a pas trop mal marché par ailleurs il me semble.
Ouais non, l’étrange noel de M. Jack, il faudrait que je le revois, j’ai peur aussi qu’il ait mal vieilli…
Je vais me remater Big Fish tiens…
L’étrange noel de Mr Jack vieillit très bien, il est superbe.